[Comme je l'expliquais dans le billet précédent, le blogue revient en Terre de Feu pour livrer quelques billets que nous n’avions pas eu le temps d'écrire sur place.]
Sur beaucoup de bateaux, la vie en grande croisière semble accentuer la différence homme/femme pour revenir à des formes traditionnelles de la distribution des tâches. Plus nous descendions vers le Sud moins cette idée se vérifiait. Quand la mer se fâche, les femmes montent sur le pont.
On sait qu’en haute mer, la femme est l’égale de l’homme. La course au large a même montré qu’une femme peut être meilleure qu’un homme à dompter un monstre mécanique dans des vents tempétueux.
Pourtant, sur les voiliers de grande croisière, la plupart des équipages mixtes semblent figés dans un schéma homme/femme datant des années 50.
Aux hommes le bateau-machine, aux femmes le bateau-foyer.
« Pas besoin de Capitaine »
La division des tâches techniques et ménagères selon le sexe fait de la grande croisière, soyons francs, un des bastions tranquilles du sexisme. L’âge moyen des équipages accentue certainement le phénomène.
Sous le prétexte utile du capitanat ̶ soi-disant vital à la bonne marche d’un bateau, Monsieur peut légitiment goûter aux prérogatives de l’ancien régime dès qu’il a réussi à s’emparer de la place de skipper. S’il est en plus le seul propriétaire du navire, le pouvoir est absolu.
Aussi, il est assez curieux et rafraîchissant d’entendre Max déclarer : « Dans notre cas précis on sait maintenant qu’il n’y a pas besoin de capitaine. L’initiative revient à celui qui est dehors. »
Pile ou face ?
Fanny et Max se sont rencontrés sur le Bel Espoir, où ils naviguaient comme équipiers. Elle terminait l’Hydro à Marseille, lui au Havre. Tous les deux sont moniteurs fédéraux de voile. Alors, lorsque le couple acheta un Damien 40 pour naviguer dans le Grand Sud, la question se posa : qui serait le capitaine ? Elle, la Bretonne ou lui le Normand ? Ils jouèrent à pile ou face. Max gagna.
C’est pourtant Fanny qui tient la barre pour amarrer Flores juste derrière Loïck, et c’est elle qui signe les rôles d’équipages qu’exigent la Prefectura argentine ou l’Armada chilienne.
Max poursuit : « Quand il y a du monde sur le quai, j’aime que ce soit elle qui manÅ“uvre. Je me délecte des réactions des “vieux mâles”. À Puerto Williams, une jeune femme aux commandes, cela a beaucoup étonné les Chiliens, tant et si bien que le chef de l’Armada voulut un selfy avec La Capitana. »
La confiance en soi
Comme un peu gênée de la déclaration de Max, Fanny intervient : « Je n’ai pas confiance en moi, en état d’urgence la décision revient à Max. »
Mais Max ne veut rien lâcher, il se tourne vers moi : « Fanny a une tendance à se déprécier », Fanny hoche la tête, il se tourne vers elle : « Ce projet te donne une meilleure perception de toi même… Non, c’est toi la plus rigoureuse. »
Max rappelle que la dernière vidange a été faite par Fanny « et on n’y a pas pensé plus que ça ».
Cette discussion avec Max et Fanny touche un point régulièrement évoqué dans le rapport homme/femme en grande croisière : la confiance en soi.
Le manque de confiance en soi en bateau est plus facilement avoué par les femmes que par les hommes que nous avons rencontrés. La culture masculine tire dans l’autre sens : l’excès de confiance en soi des hommes dès qu’il s’agit de conduire un engin.
Coup de griffe
Laissons la discussion sur les causes de ces différences, force est de constater que généralement, en bateau, comme en voiture, c’est monsieur qui conduit. Aussi ne faut-il pas s’étonner que beaucoup de compagnes boudent les sorties en mer tant les garçons s’accaparent vite et entièrement le jouet bateau.
Bon nombre de skippers masculins me demandent : « Qu’est-ce qu’il TE reste à faire sur TON bateau ? Quand est-ce que TU pars ? » Cela en présence de Caroline qui boue de rage de se voir niée, elle et 50 % de ses parts du bateau.
Ou encore : « Hughes est là  ? J’aurais besoin d’un tournevis. »
Une habitude tellement bien ancrée que mes interlocuteurs tombent des nues quand ils sentent la piqure du coup de griffe de rappel.
Fanny s’agace aussi lorsque Max est systématiquement choisi comme interlocuteur des sujets techniques et remarque que même dans son métier, on a tendance à lui proposer la passerelle plutôt que la machine.
Elle avoue ne pas avoir un goût immodéré pour le bricolage, c’est pourtant en la voyant dans le mât avec la perceuse sans fil que j’ai eu l’idée de cet article, et c’est de nouveau elle qui déposait l’alternateur pendant que Max cuisinait les lasagnes que nous allions tous déguster le soir.
Polyvalence dans les mers difficiles
Pour les besoins de l’article, j’insiste sur les capacités techniques de Fanny, mais la réalité du couple est plus équilibrée. Comme souvent dans les bateaux que nous avons croisés dans le Sud.
Le fait dont je veux parler ne repose sur aucune statistique, mais j’ai le sentiment que plus nous avons descendu les latitudes australes, plus la ligne de parage sexué des tâches à bord avait tendance à s’estomper.
Ce qui est assez logique : naviguer en équipage réduit dans des conditions difficiles pousse à la polyvalence.
En proportion, nous avons plus souvent rencontré des femmes skippers ou des bateaux commandés à deux comme le décrit ce billet du blogue de Skol « Skipper à deux ».
Beaucoup de femmes aiment les navigations australes, elles sont nombreuses à courir ces mers, et lorsqu’elles ne sont qu’équipières, ce sont des marins de premier plan.
Aux Malouines, nous avions rencontré Kirsten, équipière sur Pelagic, une jolie blonde qui se présentait toute souriante : « Habituellement, je suis skipper. Mon métier, c’est de livrer des catamarans Léopard entre l’Afrique du Sud et l’Australie.
— Plutôt en été, non ?
— Je l’ai fait qu’une fois en hiver. Les bateaux arrivent souvent endommagés.»
Encore une fois tu mets dans le mille Émile !
Je me rappelle très bien ce que tu appelles pudiquement “la piqure du coup de griffe de rappel” de Caroline ! Perso, je ne savais plus où me mettre !
Bon, en même temps je me suis souvent demandé comment je réagirais avec une “équipière de vie” aussi, voire plus, compétente que moi… Et mes premiers sentiments m’ont fait cesser immédiatement ce genre de réflexion ! Comme tu le dis, L’âge moyen des équipages accentue certainement le phénomène…
Bises à vous deux !
oh que c’est bien dit tout ça…
oh que j’en ai bouilli aussi!! à en faire péter la soupape…
combien de fois est il arrivé qu’un camarade de ponton pose une question bato à laquelle je répondais sans hésitation (et pour cause, je suis tombée sur un pont de voilier dès sortie du ventre de ma mère..), pour que le mec repose la question direct au MALE du bord…..
ce ‘machisme” ambiant, et permanent sur les jolis bateaux est une parmi les X raisons qui m’ont fait débarquer après plus de 35 ans sur l’eau …
Un très bon livre sur le sujet “Des hommes et leur mer” de France Guillain, l’auteure du fameux “le Bonheur sur la mer” qui a poussé nombre de terriens vers les mouvances océaniennes…..
et aujourd’hui… vive la retraite, j’adore regarder les bateaux depuis le bord… et entendre les marins males continuer sur le même registre!!!
bravo à toutes les filles de mer ! mes pensées les plus douces pour vous
et les mecs de mer, laissez les vivre ces filles, elles aussi peuvent aimer la mécanique ou tirer sur les bouts toute la vie!!
des bisous à vous deux !!
Je crois que je vais user de mes prérogatives de capitaine pour imposer la lecture de ce billet à mon matelot
Je pense que ça va lui rappeler quelques (bon ?) souvenirs de la prépa du bateau, sur le port du légué, ou elle était plus présente que moi….
Certains jours, je jubile que ça soit Ariel qui se retrouve embarqué dans des discussions techniques “voile” qu’il déteste avec un skipper monomaniaque, pendant que je bavarde d’autres sujets avec sa douce….
Si seulement ma compagne acceptait de prendre la barre lors des arrivées de port, je pourrais alors goûter au plaisir décrit par Max. De toutes façons pas de grand voyage si elle ne peut revenir à bon port seule. Ce chantage devrait payer
Oups la fin de mon commentaire n’est pas passée… Je suis ravi de votre non-retour, on va pouvoir continuer à rêver. Et puis vous verrez, Buenos-Aires est une ville attachante pour qui sait la vivre. A quand une nouvelle vidéo de Caroline ? Bonne continuation !
Bientôt ! Elle est en face de moi en train de faire le montage du prochain opus.
Merci pour le commentaire.
Hughes
il est vrai que les reportage de caroline manque lol
vous avez tout a fait raison sur le rapport homme/femme sur le bateau mais a notre décharge nous pauvre marin homme nos femmes en tendance a ce sous estimer et a toujours nous refilé la responsabilité dés qu elle croit ne pas être capable d exécuté une tache
pour notre part cela avance lors de notre dernier séjours sur le bateau elle a enfin accepter de rentrer le bateau au port et cela c est relativement bien passer pour une première fois
comme dit plus haut il est impératif qu elle sache autant que moi ce débrouillé sur le bateau car notre projet est de partir a deux sur les océans ..
dom et Suzy
Hola, en fouillant un peu sur facebook, j’ai retrouvé votre message de 2013. Je suis en effet du nord et j’ai été correspondant pour Libération ( entre autre) en Argentine entre 2002 et 2010. J’ai aussi eu un petit voilier ici durant quelques années ( Phantom 19) et j’ai trouvé votre blog sympathique et édifiant.
Bref de quoi prendre un café ensemble, non ? On fera un peu de généalogie !
Chau, Antoine.
Merci de ce billet qui fait réfléchir.
J’étends cette réflexion à la maison où les choses paraissent tellement naturelles que l’on ne voit plus les différences…
j étais a Buenos Aires hier, et puis a San Fernando pour rendre visite au magasin Baron, un reve de constructeur brésilien puisqu ici il n y a presque rien a acheter…L argentine a une tradition maritime de voiliers, et ce n est pas le cas ici chez nous au Bresil , on prefere les bateaux a moteur puissants et la facilite de l immediateté confortable….
Bref , je pensais a vous, et combien Buenos Aires ressemble a un Paris des annes 60…. vous devez vous sentir peu dépaysés, et contents en cette amerique dite latine, si européenne …
Je retourne a Buenos AIres en novembre.. si vous pensez être encore la, envoyez moi un plan pour trouver le Puerto Pirata ,et le fil d Arianne en train ….Bravo pour les articles écrits, un modele de littérature condensée, et les videos, pleins d humour et d amour pour les animaux….phil
Et oui, hommes et femmes doivent se donner la main pour pouvoir goûter au plaisir de la vie en grande croisière. Chacun doit y mettre du sien. Comme le diraient certains, la vie en haute mer est différente de celle à la maison. En tout cas, je vous félicite pour votre passion.