Nous étions partis de Buenos Aires pour revenir en France. Au Brésil, une hernie discale nous a obligés à une escale d’un an. Quand le voyage prend des allures d’exil.
« Il ne manquerait plus que le chat meurt » disions-nous pour rire de l’accumulation de nos vicissitudes. Et voilà que le chat meurt. On a arrêté de rire. Un an que le mauvais sort nous traquait. Trop. Péca s’est-elle sacrifiée pour rompre cette malédiction ? Absurde ! Pourtant, nous aurions tellement eu besoin d’une explication. Nous avions perdu la boussole.
À notre arrivée en avril 2016, dans la baie d’Ilha Grande, il fallait faire quelque chose pour le mal de dos de Caroline. Le médecin de l’hôpital public (gratuit) a diagnostiqué une hernie si grosse qu’il lui a interdit de voyager, même par avion. Piqûres, repos total, puis kiné et RPG (1).

Notre mouillage pendant les 6 premiers mois. Une escuna (goélette de travail bahianaise servant aujourd’hui pour le tourisme) et la petite église de Bonfim.
Malgré le mot du docteur, l’affaire n’a pas du tout plu aux services d’immigrations locaux. Le temps du rendez-vous pour l’IRM, et diverses entrevues avec les médecins, nous avions déjà cramé les trois mois de visa touristique, théoriquement non renouvelable.
« Não tem jetihno, a lei é a lei ! Têm que ir embora ! »
« Il n’a pas de petits arrangements, la loi c’est la loi ! Vous devez partir ! » a tenté la policière fédérale malgré l’avis médical. Mais elle a dû céder devant notre réclamation d’une lettre manuscrite de sa part à présenter à notre consulat et sa hiérarchie.
Les trois mois suivants furent entièrement consacrés aux tracasseries administratives, productions de preuves, demandes de visas médicaux (impossible à obtenir), déclarations sur l’honneur et mille et un papiers à recommencer tous les trente jours (plus la douane et la marine brésilienne pour le bateau) dont un aller et retour à Rio, appels au consulat.
Face à un fonctionnaire en émois qui craint de faire une boulette entachant sa carrière, rester un immigré légal est un job à plein temps.
Si la Police Fédérale nous mettait des bâtons dans les roues, les Brésiliens que nous croisions dans la petite baie de Bonfim où nous avions jeté l’ancre faisaient tout pour aider. Le boulanger nous servait de boîte aux lettres, un couple de mormons écrivait nos courriers en portugais, kiné et médecins produisaient attestation sur attestation pour calmer la fringale administrative. Tous nous offraient leur amitié autour de repas joyeux. Nous apprenions le portugais et l’infinie résilience brésilienne dont nous tentions de nous inspirer.
Le paradis du plaisancier indolent
En octobre, le médecin a levé l’avis médical et nous sommes devenus des immigrés clandestins. L’hiver commençait en Atlantique Nord. Vers le sud, repartir pour les coups de vent du Cap Santa Marta et la côte difficile de Rio Grande do Sul ne nous faisait pas envie. Qui aime faire demi-tour ? Nous avons décidé de rester dans la baie d’Ilha Grande malgré la perspective d’une amende de plusieurs milliers d’euros si nous nous faisions prendre.
La baie d’Ilha Grande ressemble au paradis du plaisancier indolent (combien de fois j’ai eu cette appréciation sur mes bulletins scolaires !) Un plan d’eau de 65 × 25 milles, bien protégé, pas de houle, peu de vent sauf le thermique de l’après-midi et un petit coup de sud à 30 nœuds de temps en temps, 15 m de fond en moyenne, 250 plages et 187 îles et îlots couverts de forêt primaire avec de nombreuses sources d’eau potable. Mer relativement transparente vers le large, bonne pêche, pas de délinquance maritime.
Sûrement un des meilleurs plans d’eau de la côte sud-américaine pour passer les six mois qui nous séparaient du printemps de l’hémisphère nord. Et de nombreuses criques pour éviter la Marinha do Brasil pourtant bien présente dans cette zone qui abrite aussi un pipeline pour pétrolier et une usine nucléaire. Des vacances clandestines !
La malédiction
Mais le sort en a décidé autrement. Une série de petites pannes et maintenances urgentes se sont mises à éclore à un rythme tel que nous en venions à appréhender d’allumer l’ordinateur, démarrer le moteur ou mettre les feux. Ce fut d’abord l’écran du portable, puis le clavier, puis l’alimentation, un câble dans le mât, le démarreur, le contacteur, de l’eau dans le moteur, les antennes BLU impossibles à accorder, des trous d’oxydation dans la baille à mouillage, la chaîne, la batterie de démarrage, le groupe électrogène neuf (4 pannes en 6 mois, finalement abandonnés chez le réparateur faute de pièces livrées à temps), les toilettes qui fuient, la perte d’une carte bleue envoyée de France, multiples interventions sur l’annexe

Sonde anémo “tout temps” : moins de 5 ans pour que les films d’étanchéité explosent. Et je ne parle pas des boulons du HB Honda bouffés par la rouille etc. Pfff!
qu’il faut encore regonfler à chaque utilisation, fuite d’huile et d’essence dans le hors-bord, et la mort de l’anémomètre, du smartphone, de l’appareil photo, du deuxième iPod racheté récemment, le vice caché dans le nouvel ordinateur, l’antifouling qui desquame obligeant à nettoyage quotidien d’une partie de la coque en apnée et une odeur de soufre récurrente dans le circuit d’eau de mer du lavabo malgré de multiples nettoyages et remplacement des tuyaux. J’en oublie. Malédiction, quand tu nous frappes !
Incapables de reprendre la mer ?
Pour bien comprendre notre harassement, il faut convertir chaque item de cette liste en heures de travail dans un bateau en acier chauffé à blanc et baigné par la moiteur tropicale. Après nos problèmes de santé (moi aussi j’ai eu ma part, moindre) et administratifs, nous en avions marre d’être incapables de profiter un peu de cette escale imposée, mais superbe.
Insidieusement, la malédiction affectait notre moral, et bien sûr nos relations, rendant chaque nouveau surgissement de problème plus difficile à supporter. Je me suis mis à perdre l’attention, sens indispensable en bateau. Le Kindle : oublié dans le bus, les lunettes : au fond de l’eau trouble, la deuxième paire aussi, la couette : envolée dans un coup de vent, etc.
Sommes-nous encore réellement capables de prendre la mer ? Voilà la question qui me hantait la nuit. Problèmes de santé, usure du bateau, infortune, clandestinité, tout à coup notre vulnérabilité m’engloutissait. On ne peut pas voyager déprimé, sûrement pas en voilier (ni écrire un blogue). Avoir le moral est une nécessité cardinale.

Péka adorait son bac d’herbe. Sous ces latitudes, ça pousse tout seul, comme notre basilic et notre aloe vera emporté d’Argentine.
La mort du chat
Dans ce cadre atone, la mort du chat fut très triste, et nous dessilla. Elle nous a permis vraiment de pleurer, et sur autre chose que notre propre sort. La mort proche, concrète, présente, réelle change les perspectives. Au-delà de la tristesse et du manque insondable, elle a produit sur moi un « effet Montaigne ». Un relativisme qui oblige à prendre chaque problème à son tour et nettoyer le drame qui colle aux ennuis comme du cambouis. C’est ainsi que la petite Péka aura été une valeureuse équipière jusqu’au bout, en aidant encore le bateau dans son agonie. Sous la chaleur, ses reins ont lâché, probablement la conséquence de sa semaine de claustration aux Malouines pendant laquelle elle n’aura pas pu boire.
Si la mort de Péka nous a permis de regarder chaque panne comme autant de problèmes que nous n’avons pas eus en pleine mer, elle a aussi mis en relief toute la sympathie de la petite communauté de la baie de Tarituba, un village de pêcheur et de vacances populaires où nous avons pu cacher Loïck pendant plusieurs mois, avec leur complicité. Ils nous prévenaient quand le semi-rigide de la Marine approchait et emportaient notre annexe afin que Loïck paraisse inoccupé.
Cette année d’escale forcée nous aura appris le portugais et offert la « saudade » (2) d’un Brésil bienveillant et généreux, pas si facile à comprendre de prime abord.
Aujourd’hui nous naviguons vers le nord du pays avec une sérénité retrouvée même si le dos de Caroline reste fragile. Peut-elle traverser l’Atlantique ? Nous avons encore un bon mois pour répondre à cette question.
1/ RPG : Rééducation Posturale Globale un soin commun au Brésil, développé par un français Ph. E. SOUCHARD depuis 1980.
1/ Saudade : Notion complexe que l’on résume un peu vite à une nostalgie heureuse ou un bonheur mélancolique. Lire le wiki sur le sujet.
Senti alegria em ler o blog, lembrando com carinhp de vocês Hughes, Cadroline e Péka. Estou indo amanhã, 9/4 para Tarituba. Na última ancoragem lá Waldir pediu que lhe enviasse um abraço. Os pescadores também perguntaram como e onde estavam. Tranquilizei a todos mostrando sua posição via satéliteu (na época em Palmas) Amanhã darei novas notÃcias.
Opa Ze, o que é bom de ter noticias do Tarituba. Faz um abraço a todos piratãos da baia. Estamos na Caravelas esperando vento do sul.
Abração a você et de um carinho pra Maggy
Une année résumée en quelques lignes, mais qui laissent deviner que quelque part, rien n’est simple, même au paradis. Content de vous savoir sur la route du retour. J’aurais aimé vous accueillir à votre arrivée en Martinique, mais hélas j’ai mon propre agenda à respecter…
Vous ne seriez pas victimes du fameux “Cabinet Noir” français pour connaître autant de deboirs ?
Courage.
Bisous.
Condoléances pour le chat, essayez de dire une prière et de boire 7 gorgées d’eau de mer au bord de l’océan et la chance reviendra.
Tu as essayé?
Courage les p’tits loups !
Une période de spleen de laquelle on sort ne peut annoncer que du meilleur à venir
Il y a encore plein de belles choses à voir et à vivre devant …
Pensées Nautiques,
E&S
J’ai vécu des galères similaires aux vôtres, au Brésil également. J’espère de tout coeur que la roue tournera rapidement pour vous avec son lot de soulagements et de force. Salutations ventées, Julien.
Je partagerai mon opinion dans un mail privé avec tout le respect mais aussi le manque de diplomatie que vous me connaissez.
Il y a des décisions qui sont prises et qui amènent inexorablement vers des chemins où on s’embourbe ou on prospère. Regardez en arrière et identifiez l’instant.
Désolé pour le chat.
Aujourd’hui cumple personnel.Transferts et City Tours….
Bien fait de ne pas retourner en arrière, le port est sens dessus dessous….
Compatir, OK mais est-ce que ça vous sert à quelque chose ?
Ce que j’admire est que vous ne vous soyez pas découragés avec tout ça.
Finalement, quelle que soit la manière dont on prend le voyage, c’est toujours lui qui s’impose. Qui vous fait ou vous défait comme dirait l’autre.
Espérons que tout cela est maintenant derrière vous.
Coucou vous deux,
Vous êtes forts, tous les deux, je le sais dans mon for intérieur, vous allez surmonter les épreuves, j’en suis sûr.
Une pensée amicale pour votre compagne trop tôt disparue.
Tenez bon, et au plaisir de vous voir, de te revoir Hughes.
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Didier de F8GLE
Bonjour Hugues, bonjour Caroline
La hernie discale de Caroline est soignée par massage, ou par chirurgie?
À Paris, comme à pointe à pitre ca s’opère très bien en ambulatoire et péridurale.
Vous retournez en France pour remplir la caisse de bord ou pour soigner Caroline ?
Depuis que vous êtes partis, la France a bien changée … quand on a la chance d’avoir un travail, on en vit pas dignement de manière mécanique… il y a plein de travailleurs pauvres.
Je construit un cata pour partir car comme de plus en plus de monde je ne crois plus en la France, d’autant moins avec la catastrophique campagne présidentielle que nous vivons…
Vous pouvez bien vous faire soigner à pointe à pitre. Si vous rentrez en France il y a 99% de chances pour que vous ne repartiez jamais. Actuellement vous êtes riches de votre vie, de ce vous en faites, de ce que vous vivrez . Et votre richesse est inestimable.
Arnaud, chantier à agen, plus que 2000h de travail, mise à l’eau prévue en avril 2018.
Bravo pour ce message et votre résilience. On attend avec impatience de nouvelles vidéos (les précédentes étaient superbes), car même vos galères nous font réver !
Un mot d’affection anonyme, bien peu en regard de ce que vous avez eu la générosité de partager.
Et puis un clin d’œil: Pensez à ce qui vous a fait partir, oubliez les “devoirs”, vous savez ce qui compte pour vous
Merci
Bonjour
Content de vous retrouver sur votre blog. Je vous suis quasiment depuis le debut de votre aventure et chaque fois, c’est une tranche de rêve de 5 mn que je m’offre quand je vois vos vidéos et quand je lis votre blog.
Merci à vous deux et soyez courageux dans les épreuves difficiles que vous traversez. A chaque fois, on en ressort plus grand et meilleur. Il faut juste que ça ne dure pas une éternité pour le moral et la qualité de votre relation.
Bien à vous
Chers Caroline et Hugues,
Premier réflexe en sortant de notre seconde virée dans les canaux patagons, voir les news de Loïck …. On se doutait un peu que tout n’allait pas superbien pour vous, le silence du blog était éloquent depuis de long mois.
Vos soucis nous font mesurer encore plus combien les nôtres ont été modérés depuis trois ans qu’on a quitté la France, croisons les doigts.
Nous vous souhaitons de l’eau sous la quille et du vent dans les voiles, comme ils disent ici. Et du soin mutuel dans le couple.
Bien chaleureusement
isabelle et ariel
Bonjour Hugues et Caroline
Je vous suis depuis votre départ et vous m’avez beaucoup inspiré par votre mode de voyage, vos articles et vos vidéos. Entre temps nous avons aussi mis les voiles l’année dernière, plus ou moins votre trace jusqu’ici : nous croisons lieux et personnages aperçus il y a quelques années sur votre blog. Après quelques mois au Cap-Vert nous partons maintenant vers le Brésil, où peut-être que nos routes se croiseront ?
Je vous souhaite de retrouver le moral et de continuer à nous faire partager vos découvertes via votre blog.
Aurélien, sur Penn Gwen (RM1200 beige)
Courage
merci pour tous les messages, même les plus difficiles… vous nous faites toujours rêver…tristesse pour le chat …courage à Caroline pour ce retour et bon vent
Rip Péca dont on aimait suivre les aventures et les frasques félines.
Jérôme
ps: le régime de poissons n’est pas bon pour les chats, beaucoup trop salé pour leurs reins.
J’espère que vous pouvez surmonter. Tout ira bien
Un immense merçi pour tous ces articles passionnants et très instructifs pour pour des gens comme nous qui allons bientôt partir sur un trajet identique. Nous vous espérons en meilleur forme maintenant et attendons avec impatience le prochain billet et peut être des images de Caroline. Bravo pour cette belle tranche de vie même si tout n’est pas toujours rose, et ce n’est pas le moindre de vos mérites de ne rien passer sous silence.
Encore merçi et bon vent, Pierre-Yves et Mimi sur Chaveta RM1350
Caroline et Hugues,
J’ai suivi votre aventure avec enthousiasme et émerveillement dès le début. Quelles tristes nouvelles! Je suis mentalement avec vous dans des situations aussi difficiles que celle-ci! Tenez bon, je sens que l’aventure n’est pas finie et que beaucoup de belles histoires nous attendent!
Bonne guérison!
Je vous écris ces quelques lignes alors que vous êtes à 30h de nav’ de Horta où je pense que vous allez enfin vous arrêter vu les 40 jours de mer que vous avez derrière vous.
Je vous envoie mes plus chaudes félicitations pour avoir eu le mental de naviguer 40 jours, malgré les jours d’angoissante pétole, malgré les 15 jours de près, malgré le vent pile dans l’axe des Canaries vous empêchant d’y relâcher et de virer vers le centre atlantique… 40 jours sans desalinisateur, sans congélateur, sans rien de frais depuis au moins 30 jours… chapeau bas.
Quand vous repartirez des acores, au grand largue j’espère, en route directe pour Brest, vous aurez à vue de nez 14 jours de nav’. Dans quel port français arriverez vous ? Vous méritez une arrivée digne d’un vainqueur du vendée globe ! Accepteriez vous être accueillis aussi par des inconnus, avec du Comté, du reblochon et des trucs bien français que vous n’avez pas vu depuis 6 ans ?