Le yacht-club le plus austral du monde est aussi un des plus sympathiques que nous avons rencontrés.
Tous. Absolument tous les voiliers qui sont allés en Patagonie se sont un jour mis à couple du Micalvi. Tous, absolument tous les équipages de ces voiliers ont bu un verre dans son bar en pente. Certains ont passé des nuits inoubliables dont ils ne se rappellent pas tout. Tous chérissent le souvenir de ce navire échoué.(1)
Une légère gîte sur tribord
Le Contramaestre Micalvi est un bateau de transport construit en 1925 en Allemagne puis acheté par la marine chilienne en 1928 pour acheminer des munitions au Chili destinées au cuirassé Latorre. Il entame ensuite une carrière de ravitailleur dans les canaux de Patagonie. Désarmé en 1961, il est échoué comme ponton dans un bras protégé de Puerto Williams. En touchant le fond, le bateau a pris une légère gîte sur tribord. C’est le charme du Micalvi, le sol du bar est en pente tant que l’on n’a rien bu.
Les voiliers s’amarrent aux 55 mètres de francs-bords. A bâbord les voiliers en long séjour, le reste à tribord sur trois rangs qui peuvent compter jusqu’à 7 unités à couple. Il faut alors tirer des amarres de chaque côté du bras de mer pour éviter que la ligne de bateaux s’arque comme un accordéon sous la force du vent. Lors de notre séjour, nous avons vu un pare-battage exploser pour avoir négligé cette précaution. Lorsque l’on est le dernier de la rangée, c’est du sport pour rentrer ou sortir de chez soi, six mats à contourner sur des ponts encombrés de ces voiliers de voyage souvent grands, des dizaines de hautes filières à enjamber… On fait vite connaissance avec ses voisins.
Loïck, cancre de la manœuvre
En été, chaque jour il faut défaire et refaire l’agencement de ces chapelets de coques pour laisser partir le bateau que le temps a poussé au centre d’une rangée. Il faut parfois déplacer une dizaine de bateaux qui se déploient dans le bras d’eau comme une volée d’oisillons avant de revenir se blottir les uns contre les autres à la mère nourricière. J’étais surpris de voir comment tout le monde était ponctuel et souriant pour cette corvée. Comme dans toutes les marinas, les manÅ“uvres font sortir les curieux des carrés pour observer l’habileté des équipages. Malheureusement, ce n’est pas le spectacle comique que peuvent offrir certains ports de France en été. Les moteurs tournent au ralenti, les coques se frôlent, les amarres sont lancées avec précision, la parole est superflue sauf pour une bonne vanne. C’est un ballet mené par des équipages expérimentés que l’on sent amoureux de l’excellence nautique. Les petits nouveaux comme nous savent bien que, sous des dehors débonnaires, le jury est exigeant. Avec sa marche arrière en crabe, Loïck, cancre de la manÅ“uvre, fait de son mieux pour sauver l’honneur.
La tradition du pisco sour
Lorsque nous nous amarrons au Micalvi, cela fait trois semaines que nous n’avons pas pris de douche. Pourtant notre première impulsion après avoir enjambé le pavois du vieux navire n’est pas de faire couler l’eau chaude, mais le pisco sour. Ce cocktail à l’origine controversé est une tradition chilienne qui a aussi son jour de fête nationale au Pérou. La recette de base mélange une eau de vie de raisin, le pisco, avec du citron, les Chiliens ajoutent du sucre glace, les Péruviens du sirop de sucre, un blanc d’œuf battu et un trait d’Agostura. Le pisco sour du Micalvi n’est probablement pas le meilleur du Chili, mais il a le goût soutenu des rituels.
Des valeurs morales
Le poêle à bois, les canapés, les tables basses, les murs couverts de drapeaux de tous les pays, le plafond bas, font de ce bar un lieu chaleureux. Le soir, la convivialité des marins rencontre celle des coureurs de montagnes qui ont fait aussi de ce navire un point de rencontre. L’île de Navarino offre la possibilité d’un beau trek de quatre jours dans les Dientes. Les deux communautés partagent un grand nombre de valeurs morales, en particulier d’aimer boire des coups. Les soirées tournent en fête rapidement, et pour savoir qui est qui, il suffit de regarder les pieds. Il y a ceux qui dansent en bottes et ceux qui gambillent en chaussures de montagnes. On est loin du Lac des Cygnes ! C’est beaucoup plus enjoué.
La gaité ambiante ne nous fait pas oublier que Nicole van de Kerchove a connu sa fin sur cette île. Nicole est la première à nous avoir parlé du Micalvi lorsque nous avons acheté le bateau en Bretagne. C’est elle qui nous a donné envie de la Patagonie. Six ans plus tard, Le Micalvi nous donne le sentiment d’avoir respecté un engagement personnel, d’être arrivés quelque part, pas seulement au bout du monde. Nous portons un toast à Nicole.
Notes
1/ Cette hypothèse hautement probable pour les voiliers ayant croisés dans le Beagle n’a pas, pour l’instant et à ma connaissance, rencontré de contre exemple.
Il y a quelques années je rêvais d’emmener ma moitié dans le gîte que Nicole tenait, en Bretagne, pour connaître cette femme sur laquelle j’avais tant lu (pas assez lu d’elle, mais ça va s’arranger). La vie en a décidé autrement. Je savais qu’elle était partie dans des eaux plus clémentes en appareillant de Patagonie. J’ai ma liste de lieux qui me font fantasmer, ou je rêve de tourner mes amarres un jour, et Micalvi en fait partie, comme l’a fait longtemps Peter’s Café Sport aux Açores, ou comme le sont depuis trois ans les Iles Bijagos. Je ne suis pas sur que j’arrive un jour a participer à ce ballet magique de Micalvi que tu décris si bien. Ça me plairait. Faudra peut-etre que je rhabille de tôle la coque de Roz Avel… déjà qu’à Saïdia on a du mal a s’amarrer cul a quai, comme tout le monde…
Bonjour,
Je me permets de vous contacter via ce commentaire, pour vous poser une question. En effet, je suis à Ushuaia et je pars bientôt pour les Galapagos sur les traces de darwin à bord de “mésange noire”. Le seul pb est que le propriétaire du voilier et moi devons d’abord nous rendre à puerto william où le bateau est amarré.
Je voulais donc savoir si vous aviez l’intention de faire un aller retour dans les jours à venir ou si vous connaissez quelqu’un qui compte faire le trajet et qui pourrait nous embarquer D’ushuaia à puerto williams?
Merci d’avance pour votre réponse, et encore félicitations pour votre blog que je suis de temps en temps.
Bon vent
Ronan
Bonjour Ronan,
Nous n’irons pas à Puerto Williams avant la fin octobre. N’hésitez pas à passer nous voir avec Eric au ponton du Nautico (face au grand casino).
A bientôt.
Hughes
Bonjour
Merci pour votre blog que je découvre
J’ai eu l’occasion de paratager des soirées à bord du Micalvi en 1997, à bord de Vallhla, les pisco sour de Maria étaint d’nfer, et les souvenirs émus sont encore présents
Merci encorehttp://www.photos.de.mer.sitew.com/COUCHERS_DE_SOLEIL.A.htm#SOUS_VOILES.E
Hello vous deux ! Belle histoire humaine encore que ce nouveau post ! Et on y apprend plein de choses, merci beaucoup. Alors, dansez bien, buvez bien, et continuez à nous faire rêver.